Le progrès peut tuer

Publié le par Emilie Tovar

Le progrès  peut tuer


  
Jamais la notion de « progrès » n'a été aussi peu remise en question qu'aujourd'hui ; le progrès
est tout simplement considéré comme étant souhaitable pour tous.

Mais, qu'est-ce que le progrès? Pour les habitants les plus pauvres des nations les plus pauvres, ses principaux piliers sont l'éducation qui  ils l'espèrent 

les conduira à plus de richesse, et les soins de santé qui  ils l'espèrent  leur donneront une vie plus longue.

L'approche selon laquelle « le progrès peut tuer » ne remet pas cela en question : nul doute que certains voient en effet leurs rêves s'accomplir, mais d'autres ne font que sombrer plus profondément dans la pauvreté.

Il en va autrement pour les peuples indigènes, en particulier pour ceux qui ont peu de contact avec l'extérieur. Leur imposer le « progrès » ne leur apporte jamais une vie plus longue ni plus heureuse, mais les condamne au contraire à une existence plus courte et plus morne dont la seule issue est la mort. Bien des peuples ont été ainsi détruits et bien d'autres restent sous la même menace.

 Certains en ont pris conscience
et choisissent de rester isolés. D'autres entretiennent une relation plus étroite avec l'extérieur – certains d'entre eux reçoivent des soins de santé qui tentent d'endiguer leur anéantissement. Mais il y a là un cercle vicieux mortel, car même dans les pays les plus riches, aucun des soins « modernes » mis à la disposition des peuples indigènes ne saurait être suffisant pour contrer les effets de la perte de leurs terres et des maladies importées. Cette étude ne nie pas le génie scientifique ni ses accomplissements, elle ne s'accroche pas à une vision romantique d'un âge d'or mythique. Il n'est pas question non plus ici d'un rejet du changement; toutes les sociétés sont en constante évolution. Il est cependant indéniable que les peuples indigènes qui vivent sur leurs propres terres et contrôlent leur propre adaptation à un monde en perpétuelle évolution sont pauvres, certes, en termes monétaires, mais que leur qualité de vie et de santé est souvent notablement meilleure que celle de leurs compatriotes. Les indicateurs montrent que lorsque les populations

indigènes sont déplacées de leur terre, leur santé et leur bien-être s'effondrent et, dans le même temps, le taux de dépressions, de dépendance et de suicides s'accroît considérablement. Ce sont là des faits indubitables.

De récentes tentatives pour évaluer le « bonheur » dans différentes populations ne surprennent en rien les personnes familières des communautés indigènes contrôlant encore leur propre mode de vie; les milliardaires les plus riches au monde ne sont pas plus heureux que n'importe quel berger maasai du Kenya.

Les programmes d'intervention qui entraînent l'expulsion des peuples indigènes hors de leurs terres et imposent le « progrès » causent une misère inouïe. Ce n'est guère surprenant : le « progrès » – la conviction que « nous » savons mieux – rejoint le colonialisme en ce que tous deux ont pour effet de spolier les terres et les ressources. Les peuples indigènes n'y survivent pas. Quand, à l'inverse, ils choisissent leur propre développement sur leur propre terre, ils prospèrent.

 

Le progrès peut tuer

90% de la population amérindienne a disparu

après être entrée en contact avec les Européens,

principalement en raison du choc épidémiologique.

D'autres peuples ont été entièrement exterminés.


Les Anglais ont introduit le « progrès » chez les Grands Andamanais en les
  installant dans un « foyer » sous prétexte de leur donner un meilleur mode de vie. Sur 150 naissances, tous les enfants sont morts avant leur troisième anniversaire. Au total, 99% de la tribu s'est éteinte, ne laissant que 53 individus aujourd'hui. Ils survivent de la charité, beaucoup d'entre eux ont la tuberculose et la plupart des hommes sont alcooliques.

Leurs voisins des îles Andaman, les Jarawa, vivent sur leur terre depuis

environ 60 000 ans – soit cinq fois plus que les ancêtres des Anglais au

Royaume-Uni. Les Jarawa sont restés isolés et autonomes : ils sont encore en très bonne santé.

Leur survie est désormais menacée par une route qui traverse

leur terre,
amenant avec elle des braconniers et de nouvelles maladies

comme la
rubéole. La Cour suprême indienne a ordonné la fermeture de

 la route, mais
l'administration locale a refusé d'obéir et la route reste

ouverte.

 
« La santé des Aborigènes
australiens et des insulaires du Détroit de Torres est désastreuse... La cause principale en est un affaiblissement général dû à de multiples facteurs dont la dépossession continue de la terre, la dislocation culturelle, la pauvreté, une éducation indigente et le chômage. »

Université royale australasienne

des médecins (RACP), 1997.

En 2002, le sida a été responsable

de 40% des morts bushmen gana et

gwi d'un camp de relocalisation.



 
HIV/SIDA

Depuis la construction de routes jusqu'à la relocalisation, le « progrès »

introduit la prostitution, les MST et l'abus de femmes et enfants indigènes. En 1971, les efforts du gouvernement brésilien pour établir des « contacts amicaux » avec des Indiens isolés ont apporté la blennorragie aux Parakanã.

Trente-cinq femmes indiennes ont été infectées par des fonctionnaires du

gouvernement; certains de leurs enfants sont nés aveugles.

L'occupation indonésienne a des conséquences catastrophiques sur les

peuples indigènes de Papouasie. Leur taux de contamination par le sida est quinze fois supérieur à la moyenne nationale et augmente rapidement. Malgré cela, l'éducation sanitaire et les tests se concentrent sur les populations indonésiennes et non sur les groupes indigènes. Les soldats corrompent les leaders indigènes en leur offrant des prostituées et de l'alcool afin qu'ils leur cèdent leur bois le plus précieux, commercialisé pour produire de l’encens. De nombreux Papous croient même que l'armée indonésienne introduit

délibérément le sida, s'en servant comme un outil génocidaire. Certaines

communautés sont aujourd'hui ravagées par cette maladie.

« La contamination des Parakanã

par des maladies vénériennes  n'était pas un cas isolé : elle était

symptomatique des brutalités infligées aux Indiens récemment

contactés le long des nouvelles routes »

John Hemming, 2003,   Die If You Must.

« Je veux partir et être enterrée dans ma maison de Molapo [dans

la Réserve naturelle du Kalahari central, Botswana]. Je suis

malade maintenant, je suis sur le point de mourir... Nous étions les

premiers à être expulsés de Molapo. Ici à New Xade [camp

gouvernemental de relocalisation], il existe différentes sortes de maladies que nous ne connaissions pas...

Lorsque tu tombes malade, tu meurs. »

Femme Bushman morte du sida en

2006, à l'âge de 29 ans.

Avant leur déplacement dans les camps

de relocalisation, aucun cas de sida

n'avait été constaté chez les Bushmen.

progrès =
famine

 

 

Dans une des régions les plus prospères

du Brésil, les enfants guarani meurent de faim.

En 2005, la plupart des enfants guarani mbyá d'Iguazu, en Argentine, étaient mal nourris. L’année suivante, 20 enfants sont morts d'inanition en

seulement trois mois. Ces Indiens perdent annuellement 10% de leur terre, et ne peuvent même pas cultiver suffisamment de nourriture.

Sur la frontière se trouve une des régions les plus riches du Brésil ;
11 000
Indiens guarani y vivent entassés dans un territoire qui peut à peine en faire vivre 300. Leurs enfants meurent d'inanition. Presque aucun groupe indigène n'a pu survivre après une telle perte de terre.

Les forêts qui procuraient aux Guarani leur nourriture disparaissent

rapidement pour se transformer en exploitations bovines ou en plantations de soja et de canne à sucre. La solution adoptée par le gouvernement est de distribuer de l'huile, du riz et de la farine; mais les Indiens ne peuvent même plus trouver le bois qui leur permettrait de cuire ces maigres aumônes. Les groupes qui choisissent leur propre mode de vie sur leur propre terre peuvent occasionnellement avoir faim, mais la malnutrition est extrêmement rare. Les Guarani ont besoin de retrouver leur terre ou ils ne survivront pas, tout simplement.

« Nous étions un peuple libre qui vivait entouré d'abondance. Aujourd'hui nous sommes dépendants de l'aide gouvernementale pour vivre. C'est comme avoir le canon d'une arme pressé contre nos têtes. »

Chefs guarani-kaiowá, Brésil, 2005.

 

obésité

 En Australie, 64% des Aborigènes

vivant en ville souffrent d'obésité.

progrès

Les peuples indigènes sans terre sont obligés d'adopter une vie

sédentaire et beaucoup deviennent dépendants des aliments industriels.

Ce changement de mode de vie et de régime alimentaire – d'une

nourriture traditionnelle très protéinée à une autre très grasse  a souvent des effets désastreux, comme l'obésité, l'hypertension ou le diabète.

Dans la réserve de Pima (Arizona), plus de la moitié des Indiens âgés de

plus de trente-cinq ans sont atteints de diabète, tandis que ceux qui

vivent dans les montagnes en souffrent infiniment moins. La Fédération

internationale du diabète explique qu'un excès de poids et de diabète

conduit à « des morts prématurées et à des handicaps ». S'il n'est pas

soigné ou s'il est détecté trop tard – ce qui est courant dans les

populations indigènes – le diabète peut provoquer une cécité, des

affections rénales, des attaques, des maladies cardiaques et des

amputations. L'impact sur les générations futures sera catastrophique.

« Sans une intervention urgente, le diabète représente certainement un risque réel de destruction des communautés indigènes, voire d'une extinction totale d'ici la fin du siècle. »

Professeur Zimmet, Institut

International de Diabète, 2006.

« Le coût humain du développement effréné sur notre

territoire traditionnel, que ce soit sous forme de développement

hydroélectrique massif ou d'opérations de déforestation

totalement irresponsables, n'est pas une surprise pour nous. Le

diabète est apparu suite à la destruction de notre mode de vie

traditionnel et à son remplacement forcé par une économie fondée sur les indemnités de chômage.

Aujourd'hui nous constatons qu'une femme cree enceinte sur sept

souffre de diabète, et nos enfants naissent avec un grand risque

d'être diabétiques ou le sont déjà dès leur naissance. »

 

suicide
 Entre
1985 et 2000, près de

300 Guarani-Kaiowá se sont suicidés.

Le plus jeune d'entre eux avait neuf ans.

 

progrès

 

Les peuples indigènes du monde entier souffrent du traumatisme de la

relocalisation et de la sédentarisation forcées. Ils se retrouvent dans un

environnement auquel ils ne sont pas habitués, où ils n'ont rien à faire

d'utile et où ils sont traités par leurs nouveaux voisins avec mépris et

racisme. Leurs enfants sont séparés de leurs communautés lorsqu’ils sont envoyés dans des pensionnats où leur langue et leurs traditions sont

souvent ridiculisées voire interdites.

Exclus et sans espoir, beaucoup s'adonnent à la drogue ou à l'alcool. La

violence domestique et les abus sexuels explosent. Beaucoup en viennent au suicide.

Au Canada, le taux de suicide des groupes indiens qui ont perdu le lien

avec leur terre est jusqu'à dix fois supérieur à la moyenne nationale; ceux

qui gardent des liens forts ne connaissent pas le suicide.

« Les jeunes gens sont nostalgiques des belles forêts... Un jeune m'a dit qu'il ne voulait plus vivre parce qu'il n'y avait plus aucune

raison de continuer à vivre – il n'y a pas de chasse, pas

de pêche et l'eau est polluée. »

  « Les Guarani se suicident parce qu'ils n'ont pas de  terre. Nous n'avons plus d'espace. Autrefois nous étions libres, aujourd'hui

nous ne le sommes plus. Alors nos jeunes regardent autour d'eux et pensent qu'il ne reste plus rien et se demandent comment ils

pourraient vivre. Ils s'asseyent et pensent, ils oublient, ils se perdent et alors ils se suicident. »

Rosalino Ortiz, Guarani  Ñandeva, Brésil, 1996.


Les conceptions actuelles du
progrès datent de l'époque coloniale, du temps où le fait de s'approprier les ressources et la main-d'oeuvre

s'autojustifiait par une supposée action civilisatrice.

 

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